HeHe


Champs d'Ozone (english below)

Installation conçue spécialement pour l’exposition « Airs de Paris », en collaboration avec Airparif (Association pour la surveillance de la qualité de l’air en Île-de-France)

Surface de rétro-projection holographique : 137 x 104 cm. Projecteur vidéo avec miroirs asphériques, projecteur audio directionnel. Données numériques Airparif, provenant de plusieurs stations de type urbain mesurant la pollution ambiante, installées notamment au jardin des Halles, à Paris, et à Saint-Denis (93). La hauteur de la tête de prélèvement est de 2,70 m.




HeHe se définissant comme une « plateforme pour l’art, le design et la recherche, explorant de nouvelles voies pour intégrer les “médias binaires” dans un environnement physique (1) », HeHe est une association de production de design de processus et d’installations, créée à Paris en 2001 par Helen Evans (née en 1972 au Royaume-Uni) et Heiko Hansen (né en 1970 en Allemagne). Cette même année, l’association a reçu en 2001 le prix CyNetArt de l’installation interactive.  Après des études en design, en scénographie et en ingénierie, puis une formation au sein du département de Computer Related Design au Royal College of Art, à Londres, le collectif HeHe intègre en 2000 l’IMK(2) (Fraunhofer Institut Medienkommunikation), à Bonn, puis prend part, en 2002, à « In Situ », programme élaboré en commun par l’INRIA (Institut national de recherche en informatique et en automatique), à Paris, et par le Laboratoire de recherche en informatique de l’Université de Paris-Sud. En 2007, Evans et Hansen participeront en qualité d’artistes en résidence aux ateliers de recherche et développement du centre d’art et technologie Eyebeam (3) de New York. Se situant dans la filiation de l’ingénieur et architecte américain Richard Buckminster Fuller (4), qui considérait qu’une pédagogie appropriée pouvait aider les individus à se montrer plus respectueux des équilibres écosystémiques, HeHe développe ici un dispositif de design inédit, qui met en récit la pollution atmosphérique.

Nombre de ses projets explorent les possibilités de corrélations entre les phénomènes physiques, chimiques et environnementaux. Sous ce pragmatisme technologique transparaît toutefois en filigrane une approche poétique plus large. Le dispositif Champs d’ozone exploite les données analytiques de la qualité de l’air à Paris, fournies en « quasi temps réel (5) » par Airparif, et les transpose dans un continuum espace-temps à la fois visuel et sonore. Comme avec le Laboratoire de recherche en informatique de l’Université Paris-Sud, ou avec les étudiants, notamment de l’Université Pierre-et-Marie-Curie, à Paris 6 (6), qui partagent, le temps d’un projet, leur espace de travail, la collaboration avec les scientifiques est pour les designers une occasion de réfléchir à la médiatisation de l’information sur la qualité de l’air. Airparif précise à juste titre que l’« on peut choisir la qualité de son eau ou de sa nourriture, mais pas celle des 15 000 litres d’air que chacun respire en une journée et qui transportent dans notre corps, en plus de l’oxygène, des polluants sous forme de poussières et de gaz (7) ». Une enquête récente conclut que les Franciliens, qui jugent médiocre la qualité de l’air qu’ils respirent, placent cette information en tête de leurs préoccupations (8).

HeHe a entamé la conception d’environnements en 2002 dans le cadre d’une résidence à Makrolab (9). À l’instar d’autres de leurs projets, comme Smoking Lamp (10) (2005) et Nuage vert (11) (installation prévue pour 2008), Champs d’ozone confronte le visiteur à la question du mode de reconnaissance et de communication de la pollution. Exploitant les possibilités de la rétro-ingénierie, qui modifie le comportement d’un programme informatique, Champs d’ozone a été conçu avec Processing (12), un logiciel de programmation libre (13) particulièrement adapté à la création plastique et graphique. L’information sur la qualité de l’air est ici affranchie de sa représentation cartographique habituelle ; elle est diffusée au travers même de son élément constitutif, l’air. Comme l’écrit Gaston Bachelard, « l’imagination substantielle de l’air n’est vraiment active que dans une dynamique de dématérialisation (14). » En effet, la surface de rétroprojection, traitée comme une fenêtre dans l’espace d’exposition, est connectée via Internet aux différents capteurs d’Airparif, notamment à celui du jardin des Halles. La concentration d’air pollué – dont les principaux constituants sont le dioxyde d’azote (NO2), l’ozone (O3), des particules de poussières (PM10) et du dioxyde de soufre (SO2) – peut ainsi être visualisée sur la surface de rétroprojection par des couleurs allant du rouge, en cas de pollution maximale, au bleu, dans le cas inverse. Dans L’Air des songes, Bachelard relève que « c’est en parcourant une échelle de dématérialisation du bleu céleste que nous pou[v]ons voir en action la rêverie aérienne (15). » Par ailleurs, l’intitulé Champs d’ozone évoque pars pro toto la complexité des champs de bio-toxicité, dont « l’ozone (16), [qui] est le seul polluant surveillé en Île-de-France pour lequel les concentrations moyennes relevées tout au long de l’année sont en augmentation. […] Dans l’agglomération parisienne, les niveaux ont quasiment doublé depuis 199217 ». Champs d’ozone rend aussi hommage à la mémoire des 400 personnes décédées à cause de l’ozone dans neuf grandes villes françaises, dont Paris, lors de la canicule historique de 2003, et appelle au respect de l’environnement (18). Le dispositif chromatique est complété par un design sonore réalisé à partir des relevés provenant des têtes de prélèvements citées.

Champs d’ozone interroge de ce fait les évolutions contemporaines de la pollution en contexte urbain. On pourrait facilement déchiffrer l’évolution d’une ville en considérant l’historique de sa pollution. On constaterait ainsi, par exemple, que Paris a, depuis les années 1980, largement développé ses activités tertiaires. Certes, comme le souligne Airparif (19), la pollution atmosphérique ne peut en aucun cas être appréhendée par le biais d’un seul polluant. Mais l’interprétation originale de HeHe a le mérite d’ouvrir un champ phénoménologique et sensoriel qui illustre les rapports de l’individu à la ville.

Laurence Mauderli for the catalogue "Airs de Paris", éditions Centre Georges Pompidou

 

1. Entretien de l’auteur avec HeHe, octobre 2006.

2. Voir http://www.imk.fraunhofer.de/en/index.html.

3. Voir http://www.eyebeam.org.

4. Voir ww.bfi.org, et également Joachim Krausse et Claude Lichtenstein, Your Private Sky. R. Buckminster Fuller, Baden, Lars Müller Publishers, 1999. La carte Dymaxion (1954), un icosaèdre, est ainsi conçue dans l’optique d’éduquer à la préservation de la planète.

5. Terminologie d’Airparif : les relevés se faisant toutes les 15 minutes, le terme « temps réel » ne serait pas tout à fait exact.

6. Emmanuel Geoffray, étudiant en sciences de l’ingénieur et traitement du signal pour le son et l’image, a ainsi travaillé en qualité de stagiaire pour le projet de Smoking Lamp, réalisé en 2005.

7. Michel Elbel, « Atmosphère capitale », texte publié par Airparif, p. 2.

8. Ibid.

9. « Le projet Makrolab a été créé en 1994 par l’artiste Slovène Marko Peljhan et monté pour la première fois en 1997, avec pour objectif principal de créer une capsule autonome et autosuffisante pour l’observation et l’analyse des trois systèmes dynamiques que sont les télécommunications, le climat et les flux migratoires. Des artistes et des scientifiques […] qui font une utilisation tactique des médias collaborent […], développant ainsi un espace de savoir commun dont le but est de redéfinir, de “recoder” la compréhension habituelle des systèmes étudiés. » Il est prévu que Makrolab, considéré comme laboratoire mobile, se sédentarise en 2008, avec la création d’une station permanente dans l’Antarctique. Voir http://makrolab.ljudmila.org.

10. Conçu et montré pour la première exposition de HeHe à la galerie Quang, à Paris, Smoking Lamp posait la question de la contamination de notre environnement quotidien par la nicotine. Pierre-Yves Desaive, « Hehe, la rétro-ingénierie culturelle », galerie Quang, décembre 2005.

11. Nuage vert se compose d’une caméra braquée sur la cheminée d’un incinérateur public et d’un laser qui dessine le contour du nuage de fumée dans le ciel : la couleur du rayon varie du vert au rouge, en fonction des statistiques collectées en temps réel par l’usine (qualité du tri, masse de déchets à traiter…). Voir www.hehe.org.

12. Voir http://processing.org/.

13. Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Open_Source_Initiative.

14. Gaston Bachelard, « Le Ciel bleu », L’Air et les Songes. Essai sur l’imagination du mouvement, Paris, Librairie José Corti, 1943 ; rééd. Paris, Le Livre de Poche, « Biblio Essais », p. 211.

15. Ibid., p. 212.

16. L’ozone résulte de la transformation chimique de l’oxygène au contact d’oxydes d’azote et d’hydrocarbures, en présence de rayonnement ultra-violet solaire et d’une température élevée. Voir www.airparif.asso.fr/pages/polluants/surveillance.

17. « L’ozone sous toutes ses coutures », dossier Airparif. Voir www.airparif.org.

18. Entretien de l’auteur avec Karine Léger, Airparif, octobre 2006.

19. Ibid.

Champs d'Ozone

Installation conceived especially for the exhibition  « Airs de Paris », in collaboration with Airparif (Association for the monitoring of air quality in the Paris region)

Holographic retro projection film:  137 x 104 cm. video projecter with aspheric mirrors, directional audio speakers. Digital data belonging to Airparif, from more that one urban stations for measuring ambient pollution, installed in the garden of Les Halles in Paris and in Saint St Denis. The sensor heads are installed at 2,70 high.


HeHe, defines itself as a “platform for art, the design and research, exploring new ways to integrate “binary media” in a physical environment (1)”, HeHe is an association for production, design process and installations, created in Paris in 2001 by Helen Evans (born in 1972 in the United Kingdom) and Heiko Hansen (born in 1970 in Germany). This same year, the association received in 2001 the CyNetArt price of the interactive installation. After studies in design, scenography and engineering, followed by two years in the department of Computer Related Design at the Royal College of Art, in London, HeHe invested itself within the IMK (2) (Fraunhofer Medienkommunikation Institute), in Bonn, and in 2002, with “In situ”, a joint program by the INRIA (national Institute of research in data processing and automatics), in Paris, and by the Research Laboratory in data processing of the University of Paris-South. In 2007, Evans and Hansen will take part in an artist residence at Eyebeam (3) centre of art and technology in New York. Situated in the lineage of engineer and American architect Richard Buckminster Fuller (4), who considered that an appropriate pedagogy could help make individuals respect the balance of the ecosystem, HeHe develops a new design, which looks at the mediation of air pollution.

Many of their projects explore the possibilities of correlating physical, chemical and environmental phenomena. This technological pragmatism nevertheless reveals the HeHe hallmark: a much broader poetic approach. Champs d’Ozone exploits the analytical data that measures the quality of air in Paris, provided in “quasi real time (5)” by Airparif, and transposes them in a visual and sound space-time continuum. As with the research Laboratory in data processing of the University Paris-South, or with students, in particular the University Pierre-and-Marie-Curie in Paris (6), who share for the duration of a project their workspace, collaboration with scientists is for these designers an opportunity to think about the mediatisation of information on the quality of the air. Airparif rightly states “one can choose the quality of our water or food, but not the quality of the 15.000 litres air that each of us breathes in one day and which is transported into our body, the oxygen as well as the dust and gas pollutants (7)”. A recent investigation concludes that Parisians considers the quality of the air that they breathe as poor, and information about pollution is central to their concerns (8).

HeHe initiated the design of environmental monitoring in 2002 within the framework of a residence at Makrolab (9). Following the example of Smoking Lamp (10) (2005) and Nuage Vert (11) (installation planned for 2008), Champs d’Ozone confronts the visitor with the question of the mode of recognition and communication of pollution. Exploiting the possibilities of the reverse engineering, modifying the behaviour of a data-processing system, Champs d’Ozone was designed with Processing (12), an open source computer programming environment (13) which is particularly adapted to artistic and graphic production. Information on the quality of the air is freed here from its usual cartographic representation; it is diffused by and through it’s original material, the air itself. As writes Gaston Bachelard, “the substantial imagination of the air is only really active in the dynamic of dematerialization (14). ” Indeed, the surface of the retro-projection, treated like a window in the exhibition space, is connected via the internet to the various sensors of Airparif, in particular the sensors at Les Halles in the city centre. The concentration of polluted air - whose principal components are the nitrogen dioxide (NO2), ozone (O3), particle dust (PM10) and sulphur dioxide (SO2) - can thus be visualized on the surface of retro-projection by going towards red, in the event of maximum pollution, and back to blue, in the opposite case. In the Blue Sky Bachelard puts forth that “it is by following the scale of dematerialisation of celestial blue that we can see aerial reverie at work. (15). ” In addition, the title Champs d’Ozone (Fields of Ozone) evokes by pro toto the complexity of bio-toxic data sets, of which ozone “is the only pollutant monitored in the Paris Region for which the average concentrations measured throughout the year are increasing. […] In Paris and the suburbs, the levels have almost doubled since 1992” (16). Champs d’Ozone also pays homage to the memory of the 400 people died because of ozone, in nine French cities including Paris, during the record breaking heatwave of 2003, calling to us to respect the environment. The colour coding is completed by a sound design realized from the previously mentioned measurements.

Champs d’Ozone questions the contemporary evolution of pollution in the urban context. One could easily decipher the evolution of a city by considering its history of pollution. One would note, for example, that Paris since the 1980s has massively developed its service sector. Admittedly, as Airparif underlines (19), air pollution cannot in any case be understood by the means of one pollutant alone. However, the original interpretation of HeHe has the merit to open a phenomenological and sensory field, which illustrates the relationship between the individual and the city.